Table ronde finale

Marcio Roiter, Adon Peres, Michèle Lefrançois, Juliette Singer

Juliette Singer
Pour vous situer le débat dont nous allons nous faire l’écho, l’année dernière Marcio Roiter qui est président de Art Déco Brasil, a organisé un congrès qui a lieu tous les deux ans…

Marcio Roiter
C’est un congrès qui est organisé tous les deux ans depuis 1991 ; la première ville a été Miami, qui a été la première a avoir une société Arts Déco, c’est-à-dire une société qui permette la sauvegarde, la célébration, l’étude des monuments Art Déco. J’ai fondé la société brésilienne en 2005, soit bien après Miami qui avait fondé la sienne en 1976 et avait protégé South Beach Miami que tout le monde connaît, et qui est maintenant un des endroits les plus connus des États-Unis et qui était menacé de destruction. Ce n’est pas facile d’être le siège d’un congrès mondial, il faut suivre un certain ordre, répondre à certaines demandes ; on a fait ce 11è congrès. 2013 se tiendra à la Havane à Cuba, qui a un très beau patrimoine Art Déco, aussi en danger, comme celui de Rio. Et c’est vrai que cela change après un congrès, avec la présence de personnalités aussi importantes, comme Juliette Singer, Michèle Lefrançois, Florence Camard qui a parlé de Michel Dufet qui a vécu deux ans à Rio et dont elle a fait la biographie, Daniel Sicard du musée de Saint-Nazaire a parlé des bateaux…je ne vais pas continuer à parler de cela, car il y avait 18 intervenants en trois jours. On a eu tout un après-midi dédié au Christ dont on fêtait les 80 ans en 2011. Il y a eu beaucoup de festivités à cette occasion et on a à notre manière rendu hommage à ce monument si important pour le Brésil, dont le Brésil a donné le piédestal. Alors le jour même de l’intervention de Michèle et d’Adon Peres qui était peut-être le pivot, car il a commencé à parler du thème qui lui est cher de la comparaison entre le Mur de la Réformation et Le Christ, ce jour-là le journal Globo… On a eu dimanche dernier, le 2 septembre, un article du Globo parlant de ce colloque dans lequel le journal affirme « le Christ est à nous », or c’est moi qui ai demandé que l’on parle de notre colloque, j’ai envoyé le communiqué de presse, le programme. Mais ils ont oublié tout cela, ils ont mis une petite photo et ils ont écrit : « le musée des Années Trente, dans la ville de Boulogne-Billancourt réunira les 13 et 14 septembre des spécialistes dans une conférence sur notre Christo Redemptor. Cette réunion est un prétexte pour célébrer le sculpteur Paul Landowski ». Et entre parenthèses il fait un jeu de mots, parce qu’on a un juge, qui juge un cas de corruption très connu au Brésil, qui s’appelle Lewandowski : « Ne confondons pas avec Lewandowski ministre du suprême tribunal fédéral ». Bon on ferme la parenthèse. Je reprends : « Paul Landowski comme l’auteur du monument. Et là : « Mais le Brésil par décret de Eduardo Paz (c’est le maire de Rio) reconnaît l’ingénieur brésilien Heitor da Silva Costa comme le vrai créateur de notre Christ ». Heitor a été le grand leader d’une équipe qui incluait le français Landowski et le dessinateur Carlos Oswald d’origine italienne qui était d’ailleurs le grand-père de notre confrère Vivian Oswald (il est journaliste au Globo). Et cela a été provoqué l’année dernière par le Congrès. Le matin le Globo a publié cette feuille avec les idées de Adon et avec celles de la petite-fille de Heitor da Silva Costa, Isabel Noronha qui a fait déjà deux films, qui est en train de publier un livre avec sa version qui augmente le rôle de Heitor da Silva Costa par rapport aux autres participants de l’œuvre. Après l’intervention d’Adon et de Michèle Bel Noronha a pris la parole et elle était assez agressive et j’ai du même interrompre sa parole. Bien sûr on peut discuter des idées mais il a fallu l’interrompre. Elle est une chère amie et j’ai même travaillé avec elle, elle m’a interviewé pour le film mais elle a coupé après…deux films c’est déjà un peu trop, un cela suffisait… Elle veut que Landowski ne soit l’auteur que d’une petite partie de la sculpture et je ne suis pas d’accord, je lui ai dit déjà, c’est le sculpteur. Heitor da Silva Costa c’est l’ingénieur, pas l’auteur de l’idée, ce n’est pas lui, mais il a fait le projet qui, avec les contributions d’un ingénieur et d’un sculpteur, est arrivé à ce résultat d’une œuvre qui est une merveille moderne du monde. Alors il ne faut jamais dire que c’est à une personne seulement que l’on doit une œuvre pareille. Ce débat a continué et le 12 octobre, quand on a fêté les 80 ans, une revue qui s’appelle Veija a fait un numéro spécial sur le Christ. Elle a publié et j’ai envoyé des lettres pour exposer mon opinion et cela a provoqué une autre polémique et un monsieur qui a publié un livre sur le Christ, j’ai oublié son nom car il est un peu compliqué et je ne veux pas me souvenir… Je veux qu’on garde l’idée d’une participation équilibrée de plusieurs acteurs et en tout cas d’un ingénieur et d’un sculpteur.

Juliette Singer
J’étais très étonnée car le Christ ce n’est pas ça, et en plus je suis une grande amoureuse du Brésil et justement le génie brésilien c’est, et Adon en parlait tout à l’heure, c’est cet anthropophagisme intellectuel, artistique qui se nourrit de tout ce qu’il peut puiser, une énergie magnifique. Etant conservateur du Musée des Années Trente et du musée Landowski après Michèle Lefrançois dont j’ai pris la succession et qui a travaillé 25 ans sur cet artiste, j’ai essayé de comprendre. C’est un sculpteur qui a fait plus de 70 sculptures, dont le mausolée de Sun Yat-sen. Pour rebondir sur ce que disait Agnès Tricoire, comme je le disais en introduction de ce colloque, je pense que Landowski s’est mis en retrait au lieu de faire comme Picasso par exemple qui savait construire le mythe de l’artiste. Donc au Brésil son nom n’est pas connu alors que ses œuvres le sont beaucoup plus. Donc j’ai essayé de comprendre les racines de cela et les deux arguments qui m’ont étonnée : Landowski n’est pas brésilien et il n’est jamais venu au Brésil. Je demanderai à Michèle d’expliquer pourquoi il n’a pas pu se rendre au Brésil lui-même ; et le second argument c’est la prouesse de la construction et je salue complètement Heitor da Silva Costa qui était un maître d’œuvre absolument génial qui a su trouver le bon sculpteur et le bon ingénieur et a su créer les conditions de la création de ce chef-d’œuvre qui appartient à Rio, qui est carioca mais qui appartient maintenant à l’histoire artistique du monde.

Michèle Lefrançois
Moi je pense que c’est une polémique qui n’a pas lieu d’être parce que la preuve est faite qu’il y a eu plusieurs intervenants et que la part de Landowski dans la sculpture est reconnue par tous. C’est vraiment une polémique qui ne devrait pas exister. Landowski dans son Journal raconte ses rendez-vous avec Heitor da Silva Costa et que ce dernier accepte les modifications qu’il propose et donc entre eux deux apparemment il n’y a aucun problème. C’est une collaboration très amicale et je ne vois vraiment pas où est l’opposition entre ces deux hommes. Alors pourquoi il n’est pas allé à Rio ? Landowski était un bourreau de travail. Il n’est pas allé non plus pour l’inauguration du Sun Yat-sen, c’est un homme qui quittait rarement son atelier. Je pense que c’est une raison d’emploi du temps. Il avait terminé sa sculpture et il estimait que son rôle s’arrêtait là.

Marcio Roiter
Cela prenait deux mois…

Michèle Lefrançois
Dans son Journal il dit que plus il travaille à cette sculpture plus il y prend goût, qu’il a un seul regret c’est qu’on n’ait pas fait des essais in situ avec une maquette de 4 mètres de haut, mais à part ça je crois que tout s’est fait en harmonie et je suis très surprise de cette polémique.

Juliette Singer
Qu’est devenue maintenant cette polémique ?

Marcio Roiter
Le Christ brisé, lo Christo parcido…Cela est mené par sa petite-fille qui dit que pendant toute sa vie, elle a entendu dire que le Christ était un cadeau de la France. La France qui en 1922 a fait cadeau du pavillon français du centenaire de l’indépendance, comme je l’ai montré dans mon intervention, le Petit Trianon ; c’était vraiment un cadeau et peut-être aussi le Bartholdi, tout cela ajouté au charme d’avoir gagné un cadeau européen qui venait de loin et était placé sur la montagne la plus importante de Rio, et alors je comprends très bien le côté psychanalytique pour ainsi dire de quelqu’un qui a entendu toute sa vie ne pas reconnaître que son arrière grand-père a été le responsable du projet. Je me mets à sa place, elle veut le sortir de cet oubli. Je ne suis pas d’accord qu’on le sorte de cet oubli avec une espèce de mégalomanie en disant que le seul auteur était Silva Costa et que les autres ne seraient que des exécutants.

Juliette Singer
En fait c’est le terme « exécutant » qui est choquant quand on connaît l’envergure de Landowski.

Marcio Roiter
Adon est traumatisé…

Michèle Lefrançois
Il faut quand même resituer les choses à cette époque-là. Landowski est mondialement connu et il n’aurait pas été un simple exécutant. Cela tombe sous le sens. Il n’aurait pas accepté de réaliser une sculpture sur un dessin précis. En même temps il travaille sur le Sun Yat sen…

Marcio Roiter
Et puis on a la carte postale de l’inauguration en 1931 et là c’est bien clair, il y a de chaque côté les deux personnages les plus importants, Silva Costa et Landowski, là c’est clair, il n’y a aucune chose à discuter.

Michèle Lefrançois
Au même moment il réalise sa Sainte-Geneviève et il y a vraiment des similitudes de style entre les deux sculptures.

Juliette Singer
Adon a été particulièrement soumis aux critiques au Brésil, car il a été considéré comme « un traitre » puisqu’il a osé parler du style de manière neutre. Je voudrais ton sentiment Adon sur la manière dont cela s’est passé.

Adon Peres
Ce n’est pas d’une manière neutre, mais d’une manière scientifique. J’ai une formation d’historien de l’art et j’aimerais reprendre quelques points qui ont été évoqués par Agnès Tricoire qui m’a enrichi énormément : La question de l’originalité et de ce qu’est la personnalité de l’artiste. Je crois que si l’on pose la question à un artiste, lui-même ne sait pas répondre, parce que dans l’art on s’exprime autrement qu’à l’habitude. C’est pour cela qu’on est assez souvent confronté au problème du contrat, car l’artiste vit dans son monde ; et moi-même quand j’organise mes expositions, il ne me vient pas à l’idée de signer un contrat avant toute chose. Dans un projet artistique il faut commencer plutôt par un engouement. Donc par exemple si je m’intéressais à Landowski c’est parce que j’appréciais son œuvre et pas seulement parce qu’il était très connu. Et donc du coup je trouve que cette polémique est un peu malheureuse par ce qu’elle est anachronique au sens où concevoir une œuvre dans un endroit et la produire dans un autre est une idée très moderne, je ne crois pas qu’il y ait un autre exemple avant le Christ ; en revanche aujourd’hui c’est fréquent. Je connais pas mal d’artistes qui demandent à toute personne qui rentre dans leur atelier de signer un papier comme quoi ils ne demanderont par la suite aucune participation à l’œuvre. Donc cette affaire est anachronique car comme le disait Michèle, apparemment Silva Costa et Landowski s’entendaient très bien. D’ailleurs en regardant aujourd’hui les Fontaines de la Porte de Saint-Cloud, parce que j’aime beaucoup l’autoportrait qu’il y fait, il se met aux côtés d’un architecte ; il considérait que la sculpture n’était rien sans un projet architectural. Donc je ne comprends pas cette insistance à dire que ce monument ne lui appartient pas. De plus comme Agnès Tricoire le disait, je me rappelle que jusqu’aux années 80 il n’y avait pas le nom de Landowski autour de la sculpture alors qu’il y avait celui de Silva Costa. Donc je suis entré dans cette histoire par l’histoire de l’art : un artiste a sa personnalité et on voit son style à travers ses autres œuvres. Quand je regarde toutes les autres œuvres de Landowski on voit bien que le style du Christ est de Landowski. C’est ce qu’on pourrait appeler sa personnalité pour reprendre ce que disait Agnès Tricoire. C’était un homme de principe qui se mettait toujours derrière l’œuvre car pour lui ce qui comptait c’était son œuvre. Donc il s’est mis en retrait et avec le temps…En tant qu’historien on ne peut que regretter que l’on puisse considérer que ce travail d’historien ne sert à rien simplement parce que « ma grand-mère m’a dit que… ». Donc je voulais préciser tout cela parce qu’à l’époque il n’y avait aucun doute. Aujourd’hui nous sommes loin de cette époque et en plus nous sommes dans des pays différents, avec des lois différentes : la France a un ensemble de lois beaucoup plus importantes et sérieuses sur les œuvres d’art. Je n’étais pas au courant de cette histoire ; car je précise j’ai commencé à travailler sur Landowski dans le cadre de mes études et j’ai été appelé par la suite par l’ambassadeur du Brésil ici en France qui m’a demandé mon avis sur cette polémique. Et moi j’ai dû lui avouer que je n’étais pas au courant ! Et pourtant j’ai écrit un livre là-dessus.

Marcio Roiter
Cela vend des journaux. La polémique est très intéressante pour les journaux et pour les magazines. Il faut qu’il y ait un contentieux entre les deux pays qui ont une passion entre eux. Il faut que cette passion vive par des polémiques, comme cela on discute de notre relation.

Adon Peres
On sait bien aussi que la presse c’est quelque chose d’irréel, que cela ne correspond pas à la réalité.

Juliette Singer
Mais là on dépasse le simple cadre de la presse, si par décret le maire de Rio déclare que le « créateur » du Christ…

Marcio Roiter
J’ai connu ce décret par ce petit article. Tu le connaissais ?

Adon Peres
Non

Marcio Roiter
Il faut vérifier si ce n’est pas une invention du journaliste.

Quelqu’un dans la salle
C’est vrai

Marcio Roiter
Moi je ne le connaissais pas…

Juliette Singer
Est-ce qu’il y a des précédents dans l’histoire d’un maire qui, par décret, attribue la création d’une œuvre à quelqu’un?

Marcio Roiter
En termes de fait divers vous savez qu’il y a maintenant un Christ plus grand que celui de Rio. Il y a plus de 130 Christ au Brésil, chaque ville veut avoir le sien. Et il y a une ville dont le maire, poussé par sa femme, a voulu avoir un Christ plus grand, il fait 39 mètres…Toutes les villes qui ont un Christ en font un lieu touristique. Ce qui veut dire que Landowski a des hommages partout. Depuis la dernière fois qu’on a compté il y en a peut-être 150 !

Michèle Lefrançois
On a retrouvé grâce à Marcio, des archives qui viennent de l’Ecole des beaux-arts de Rio et dedans une lettre signée par Silva Costa, je vous la lis : « Le modelage de la statue et de la partie basse du piédestal ont été confiés à l’éminent artiste Paul Landowski, un des plus notables sculpteurs de la génération actuelle. Esprit culte ( ?), maître absolu de toutes les ressources de son art noble, comprenant parfaitement la nécessité d’une collaboration étroite entre architecte et sculpteur dans un ouvrage d’une telle envergure, Paul Landowski, dont le nom et les œuvres sont très connus, et dispense d’en donner les références élogieuses, a su avec beaucoup de talent introduire la forme de structure que nous avions étudiée pour une parfaite stabilisation de la statue de façon à créer un type parfaitement architectonique nouveau d’une rare beauté et qui s’ajuste admirablement aux caractéristiques du lieu ». Et c’est signé Heitor da Silva Costa. C’est dit.

Marcio Roiter
On a vidé la polémique.

Quelqu’un dans la salle
Je crois que vous n’avez pas bien précisé l’origine de la polémique. La polémique vient du fait, à mon sens, d’une lecture de cette œuvre-là. Ou bien cette œuvre a été commanditée par Silva Costa à un sculpteur, et ce serait une œuvre sculpturale ; c’est la version des historiens de l’art qui ne sont pas dupes d’une autre version ; ou bien la version qui dupe un peu tout le monde, c’est de dire que ce n’est pas une sculpture, mais que c’est une architecture. Or une architecture c’est une œuvre collective, mais quand même une architecture a un créateur c’est l’architecte. Et à ce moment-là da Silva est posé non pas comme un commanditaire mais en tant que artiste-architecte de cette œuvre. Or ce n’est pas possible, ce n’est pas une architecture, c’est une sculpture et cela c’est évident. La polémique vient d’une lecture de ce monument comme une architecture au lieu d’une sculpture. Voilà le problème de la polémique.

Adon Peres
Vous touchez un point qui est très intéressant, car ce monument, on dit qu’on est venu voir Landowski seulement pour les mains et pour la tête. Alors d’abord c’était un homme célébrissime avec des œuvres partout et je doute qu’on lui ait dit « tu me fais des mains et une tête et c’est bon » ! Deuxièmement on est arrivé avec un projet pour lequel il a demandé l’autorisation de le transformer au nom de la liberté du créateur. Ensuite la forme finale, stylistiquement, la forme de l’édifice final, si on veut l’appeler comme cela, c’est Landowski. Lui dans sa manière de travailler, de collaborer il ne s’en souciait guère d’affirmer si c’était une sculpture ou une architecture. Aujourd’hui on pourrait faire le contraire. Le problème c’est la commande. Du moment qu’on paye quelqu’un, on ne peut pas dire « je te paye, tu te tais ».Un grand artiste de son calibre vit de cela. Il en a besoin, c’est son existence qui est en jeu. Donc je pense que c’est une polémique qui n’existe pas parce qu’au départ cela n’a pas été envisagé comme cela. Comme je l’ai dit je n’ai pas besoin de regarder le contrat, car pour moi l’œuvre est de Landowski, elle est et voilà, il n’y a pas à polémiquer !

Quelqu’un dans la salle
Est-ce que Landowski dans le contrat a abandonné ses droits d’auteur ?

Adon Peres
Alors là c’est une autre polémique. Soi-disant Landowski aurait abandonné ses droits pour que le touriste puisse acheter ces gadgets, ces bibelots que les touristes peuvent acheter là-bas.

Elisabeth Caillet
Non, il n’y avait pas de ces « bibelots » à l’époque de Landowski. Landowski a donné ses droits pour quelques reproductions de la maquette, la fameuse maquette de 4,75m qui a aujourd’hui disparu et qui était dans la base du Christ et n’a pas du tout été abîmée au moment de l’agrandissement mais qui a été volée m’a dit Bel Noronha. Elle a été volée il n’y a pas très longtemps. Il y a quelqu’un qui doit avoir la maquette, cette deuxième ou troisième maquette.
La deuxième chose c’est qu’il y a eu un deuxième contrat dont il parle dans son Journal. Il dit qu’il a terminé son premier contrat et qu’il espère bien avoir un nouveau contrat pour le piédestal. Il y a donc eu un premier contrat pour la maquette, un deuxième contrat pour la tête et les mains et ce sont les droits liés au premier contrat, celui portant sur la maquette, qu’il a cédés mais absolument pas pour les droits de reproduction ultérieurs de l’œuvre, à cette époque cela n’avait pas de sens. Il n’imaginait pas qu’il pouvait y avoir des gommes et des crayons réalisés à partir d’une œuvre d’art. C’était très loin de l’imagination en 1928…

Adon Peres
Parce que dans son Journal il y a un passage où il mentionne ce malaise concernant cette sculpture qui est utilisée à plusieurs fins. Il a donné ses droits à l’Église pour aider au financement du monument pas pour autre chose. Cela rejoint ce que disait l’avocate, que l’artiste a non seulement des droits sur son œuvre mais il a aussi le droit de savoir ce qu’on fait avec. Pour un artiste c’est décevant et de nouveau c’est anachronique et aujourd’hui aucun artiste ne laisserait cela, les artistes veillent à ces droits et ils sont très pointus.

Marcio Roiter
Il faut aussi préciser la différence entre les deux pays concernant les lois du droit d’auteur. On ne parle jamais au Brésil du droit d’auteur alors que la France a un ensemble de lois. Ce n’est pas dans la culture. Maintenant il y a un mouvement des artistes qui veulent créer une protection. Mais par exemple dans une vente aux enchères quand vous vendez un tableau ou une sculpture il n’y a jamais un pourcentage qui va aux artistes. C’est quelque chose qui n’existe pas.

Adon Peres
Comme Agnès Tricoire l’a souligné, il y a une très grande différence entre un artiste célèbre et un artiste qui commence sa carrière, on n’a pas le même rapport ; mais en ce qui concerne le contrat on ne pense jamais à le faire au départ. Mais quand cela concerne un artiste de renommée, il va l’établir tout de suite, car il sait qu’on veut cet artiste là pour sa renommée. C’est effarant qu’on arrive à dire, par exemple à Buren, « tu me fais quelques doigts… »

Anne Demeurisse
Je me fais le porte-parole de sculpteurs des années trente, c’est extrêmement difficile de se battre pour la sauvegarde des œuvres qui appartiennent par exemple à la Ville ou à l’État. Alors évidemment si on est Buren… J’ai le plus grand mal à faire respecter par exemple les sculptures qui sont sur l’esplanade du Palais de Tokyo. Je pense aussi à toutes les œuvres qui appartiennent au 1% qui se dégradent. Ces œuvres qui appartiennent à la Ville, à l’État ou quelquefois à l’Éducation nationale, on ne sait même plus à qui s’adresser pour faire restaurer les œuvres alors que la loi devrait protéger les œuvres et faire respecter le droit d’auteur. Il faut des moyens extraordinaires, il faut faire des procédures. Je parle je pense au nom de plusieurs ayant-droit qui sont dans la salle. C’est vraiment un combat permanent.

Quelqu’un dans la salle
Je voulais signaler un problème particulier qui est lié aux techniques, car c’est l’époque où on a des techniques d’agrandissement ou de miniaturisation. Et déjà à l’époque de Rodin se pose la question de reproductions qui ne sont pas simplement des copies, mais qui sont en quelque sorte des métamorphoses techniques. Et donc par exemple pour le Christ on a le problème d’une métamorphose par agrandissement. En Amérique Centrale au Costa-Rica où il y a eu un monument fait par le sculpteur Carrier-Belleuse qui appartenait à une dynastie de sculpteurs dont l’un avait été le maître de Rodin et le sculpteur du monument de Costa-Rica, le fils, a étudié dans l’atelier de Rodin ; ce monument a fait l’objet de reproductions en miniatures. Or aujourd’hui on sait évidemment où est le monument national mais on a perdu le contrôle des miniatures qui se sont privatisées sans plus de lien avec le sculpteur lui-même et à plus forte raison ses droits. Et donc je voudrais poser la question de l’évolution des techniques, qui prendraient presque le pas sur l’auteur, et sur le droit qui a du mal à suivre cette évolution des techniques. Quand un sculpteur donne une maquette ou bâtit un modèle comment peut-on définir les rôles, quand la transformation est de ce type et à plus forte raison quand le sculpteur ne se déplace pas et ne suit pas l’évolution technique de son œuvre ?

Juliette Singer
Votre intervention est particulièrement pertinente et évoque ce que disait tout à l’heure Robert Belot qui évoquait ce que disait Walter Benjamin sur la reproductibilité technique. Toutefois dans le cas précis du Christ, il était question d’emblée d’une œuvre monumentale et Landowski s’est associé avec Albert Caquot et tout était en mains pour réaliser exactement l’œuvre monumentale selon ce que souhaitait Landowski. Les calculs étaient faits, on a vu les plans particulièrement précis. Landowski parle de la nécessité de faire une deuxième maquette, de l’agrandissement du corps et dit qu’il n’est pas possible d’agrandir la tête et donc il va réaliser la tête et les mains lui-même en taille définitive. Dans le cas du Christ l’œuvre finale est bien celle-ci. Mais cela ouvre la question des reproductions, à une autre échelle, ultérieures à l’œuvre.

Daisy Peccinini
La réalisation de la statue du Christ a convoqué la participation de toute la société catholique de Rio. Les femmes ont collé sur des toiles très fines des petits bouts de pierre de savon. Cela donne un droit social d’intervention, car il y a eu un grand mouvement.

Adon Peres
Oui on faisait la quête lors des messes.

Juliette Singer
Oui cela a aussi contribué à l’appropriation identitaire de la statue par le peuple de Rio et du Brésil.
Nous sommes revenus sur la commande publique au sein d’une carrière d’artiste : Le sculpteur face à cette problématique de la commande. Cela montre le passage de la sculpture à la statue et sur la façon dont une œuvre devient la propriété de tous, comme on le voit chez Landowski avec les monuments aux morts dans les plus petits villages. Nous arrêterons là. Nous publierons les actes et nous poursuivrons cette réflexion. Merci à tous.

Marcio Roiter
C’est dommage que ce soit fini….